Le 21 février 1944, les Allemands couvrent les murs de Paris d'une affiche de couleur rouge voulant dénoncer "l'Armée du crime" dirigée par Missak #Manouchian.
Plus de 15 000 affiches accompagnées de tracts à caractère antisémite sont placardés dans toute la France, dans le but d'assimiler les actes de résistance à des actes terroristes accomplis par des étrangers et surtout des Juifs.
L'AFFICHE ROUGE
L'Affiche placardée est de grande taille (1,2 m x 80 cm) et présente 10 hommes condamnés à mort pour leur appartenance au FTP-MOI (Francs tireurs partisans de la
main d'oeuvre immigré, un groupe de combat du parti communiste) trois jours plus tôt. Le groupe de condamnés était en fait composé de 22 hommes, qui sont fusillés ce même 21 février au Mont Valérien et d'une femme, Olga Bancic, qui sera décapitée à la hache à Stuttgart en 1944. L'affiche rouge en a choisi 10 dont elle montre la photo accompagnée du nom et d'une nationalité étrangère, ainsi que de la mention juif pour 7 d'entre eux. Les photos des condamnés sont accompagnés de photos de leurs prétendus méfaits (déraillement de train, meurtre, détention d'armes...). Un slogan accompagne la démonstration: Des libérateurs? La libération par l'armée du crime! L'objectif est clair: les nazis veulent assimiler la Résistance au crime et la faire passer pour une entreprise anti-nationale menée par des Juifs et des étrangers.
LES FTP-MOI
La main d'oeuvre immigrée (MOI) est un sous-groupe syndical de la CGTU fondé en 1923 afin s'adresser aux ouvriers d'origine étrangère, il est divisé en groupe de langue (polonais, espagnol, yiddish...). En 1941, ce groupe MOI est fusionné avec l'Organisation de la jeunesse et les brigades de la jeunesse pour former les FTP (Francs tireurs partisans). Ces FTP deviennent très actifs à Paris, notamment dans l'assassinat d'officiers nazis. C'est par exemple un commando des FTP-MOI qui exécute Julius Ritter , le chef du STO (Service du Travail Obligatoire) le 23 septembre 1943 au 18 rue Pétrarque (16e arrondissement).
MISSAK MANOUCHIAN ET LA CHUTE DU RÉSEAU FTP-MOI
Les FTP sont dirigés par Joseph Epstein (dit colonel Gilles), tandis que la direction militaire est assurée par Boris Holban jusqu'en février 1943. La police française a néanmoins crée des brigades spéciales chargées de traquer les résistants, les communistes et les Juifs, c'est notamment le cas de la 2e brigade spéciale (BS2) chargée de lutter contre les communistes. C'est elle qui, par des filatures et des dénonciations, fait une première rafle parmi les FTP-MOI de 53 résistants en mars 1943, puis une 2e rafle en juillet de centaines de personnes. Boris Holban souhaite alors ralentir les opérations de résistance mais le parti communiste ne l'entend pas de cette oreille: Missak Manouchian, un jeune communiste de 37 ans (il est rentré au parti en 1934) qui a survécu enfant au génocide arménien, le remplace comme chef militaire des FTP-MOI. Une dernière filature permet à la BS2 de remonter jusqu'à un rendez-vous entre les deux chefs des FTP-MOI, Manouchian et Epstein, en gare d'Evry Petit-Bourg, puis à l'arrestation de 23 personnes au mois de novembre 1943. Suite à une détention à Fresnes et une parodie de procès, les 22 hommes sont fusillés au Mont Valérien et la seule femme, Olga Bancic, sera décapité en Allemagne. Epstein qui a dit s'appeller d'Estain, un nom qui ne sonne pas juif, n'est pas retenu par la propagande nazie comme étant le chef du réseau (ce qu'il était pourtant) et c'est Missak Manouchian qui est présenté comme tel.
MISSAK MANOUCHIAN DEVIENT UN SYMBOLE
Après la guerre, le parti communiste choisit, pour diverses raisons dont le procès des blouses blanches en 1952 (mais aussi, le procès des écrivains yiddishophones ou le procès Slansky à Prague) qui vise les médecins de Staline et la communauté juive d'URSS, de mettre en avant le seul nom de Manouchian: ainsi, en 1954, une rue de Paris est baptisée "groupe Manouchian" (nom donné au groupe FTP-MOI de la région parisienne rétrospectivemment). Le 5 mars 1955, Aragon publie un poème dans l'Humanité intitulé Le groupe Manouchian. En 1959, Léo Ferré met en musique ce poème sous le titre de l'Affiche Rouge (nom qui est lui aussi donné rétrospectivement), chanson dans lequel aucun des autres 23 fusillés avec Manouchian n'est cité, mais où Missak s'adresse à son épouse Mélinée en lui demandant d'être heureuse. Dans le film l'Armée du crime de Robert Guédiguian, Missak Manouchian est présenté, au mépris de la réalité historique, comme choisissant lui-même ses compagnons de combat.
Ce mercredi 21 février 2024, Missak Manouchian fera son entrée au Panthéon avec sa femme, Mélinée, tandis qu'une plaque devrait commémorer les 22 autres condamnés à mort.
Les cercueils de Manouchian et de son épouse qui reposent au cimetière d'Ivry-sur-Seine ont été transféré au Mont Valérien pour la nuit, puis ils seront portés du jardin du Luxembourg jusqu'au Panthéon par la rue Soufflot avec trois arrêts symbolisants les moment importants de la vie de Missak Manouchian: le génocide arménien de 1915 auquel il a échappé enfant en étant recueilli dans un orphelinat du Liban, son arrivée en France (à Marseille en 1923), et son entrée dans la Résistance.
POUR EN SAVOIR PLUS:
Denis Pechanski, Claire Mouradian et Astrig Atamian, Missak et Mélinée Manouchian, deux orphelins du génocide des arméniens engagés dans la Résistance française.
Annette Wievorka, Anatomie de l'Affiche Rouge
Opmerkingen